Histoire

Jeunesse et inspirations (1866-1896)

 

Né dans un milieu aisé, à Moscou, le , Vassily est le fils aîné de Vassily Silvestrovitch Kandinsky et de Lydia Ivanovna. L’enfant a cinq ans lorsque son père décide de s’installer au bord de la mer Noire pour raisons de santé. Vassily passe donc son enfance à Odessa.

Ses parents se séparent : Vassily vit chez son père, et chaque jour, sa mère lui rend visite. L’éducation de Vassily est confiée à sa tante maternelle, Élisabeth Ivanovna, qui l’initie au dessin et à la peinture. Sa mère se remarie avec un médecin d’Odessa. Chaque année, pendant son adolescence, il accompagne son père, riche marchand de thé, pour un voyage à Moscou.

La jeunesse et la vie de Kandinsky à Moscou lui apportent une multitude de sources d’inspiration. Il se souvient plus tard qu’étant enfant, il était fasciné et exceptionnellement stimulé par la couleur. C’est probablement lié à sa synesthésie, qui lui permettait littéralement de transformer les sons en couleurs, Sa fascination pour les couleurs continue à augmenter pendant son enfance à Moscou. Il pratique seul la joie du dessin, bien qu’il n’eût, semble-t-il, jamais tenté de faire des études artistiques.

En août 1885, il s’inscrit à l’université de Moscou en faculté de droit.

En 1889, il participe à un groupe ethnographique qui voyagea jusqu’à la région de Vologda, au nord-est de Moscou, pour étudier les coutumes relatives au droit paysan. Il raconte, dans Regards sur le passé, qu’il a l’impression de se mouvoir dans un tableau lorsqu’il rentre dans les maisons ou dans les églises de cette région, à cause de leurs décors colorés et très chatoyants. Son étude du folklore de cette région, en particulier l’usage de couleurs vives sur un fond sombre, a rejailli sur son œuvre primitive. Kandinsky écrit quelques années plus tard que « la couleur est le clavier, les yeux sont les marteaux et l’âme est le piano avec les cordes ».

En 1892, il obtient son diplôme de droit et épouse sa cousine, Anja Shemyakina, une des rares étudiantes de l’université de Moscou. Ils divorceront en 1911.

En 1895, avant de quitter Moscou, voyant une exposition de Monet, il est impressionné par la représentation d’une meule de foin, qui lui montre la puissance de la couleur utilisée presque indépendamment de l’objet lui-même.

 

Épanouissement artistique (1896-1911)

 

 
 
La Vie mélangée, musée Lenbachhaus de Munich.

Kandinsky éprouve un choc en apprenant, en 1897, que le physicien Joseph John Thomson a prouvé expérimentalement l’existence des électrons. Cette découverte, qui contredit le principe de l’indivisibilité de l’atome (grec ancien ἄτομος [atomos], « insécable »), remet en cause sa confiance en la science et ébranle jusqu’à sa conception de la réalité. Pour lui, cela condamne le positivisme et son pendant en art pictural, le naturalisme.

En 1896, à l’âge de 30 ans, il décide de commencer des études de peinture (dessin d’après modèle, croquis et anatomie) : il s’installe à Munich, où il étudie à l’académie des Beaux-Arts auprès de Franz von Stuck, professeur de Paul Klee et de Josef Albers, deux futurs membres du Bauhaus.

Le temps que Kandinsky a passé à l’école des beaux-arts est facilité par le fait qu’il est plus âgé et plus expérimenté que les autres étudiants. Il commence une carrière de peintre tout en devenant un véritable théoricien de l’art, du fait de l’intensité de ses réflexions sur son propre travail. Malheureusement, très peu de ses œuvres de cette période ont subsisté au temps, bien que sa production ait probablement été importante. Cette situation change à partir du début du XXe siècle. Un grand nombre de tableaux de paysages et de villes, utilisant de larges touches de couleur, mais des formes bien identifiables, ont été conservés.

Pour l’essentiel, les peintures de Kandinsky de cette époque ne comportent pas de visages humains. Une exception est Dimanche, Russie traditionnelle (1904), où Kandinsky propose une peinture très colorée, et sans doute imaginaire, de paysans et de nobles devant les murs d’une ville. Sa peinture intitulée Couple à cheval (1906-1907), dépeint un homme sur un cheval, portant avec tendresse une femme et qui chevauche devant une ville russe aux murs lumineux au-delà d’une rivière. Le cheval, qui est couvert d’une étoffe somptueuse, se tient dans l’ombre, tandis que les feuilles des arbres, la ville et les reflets dans la rivière luisent comme des taches de couleur et de lumière.

Une peinture fondamentale de Kandinsky de ces années 1900 est probablement Le Cavalier bleu (Der Blaue Reiter, 1903), qui montre un personnage portant une cape chevauchant rapidement à travers une prairie rocailleuse. Kandinsky montre le cavalier davantage comme une série de touches colorées que par des détails précis. En elle-même, cette peinture n’est pas exceptionnelle, lorsqu’on la compare aux tableaux d’autres peintres contemporains, mais elle montre la direction que Kandinsky va suivre dans les années suivantes, et son titre annonce le groupe qu’il va fonder quelques années plus tard.

De 1906 à 1908, Kandinsky passe une grande partie de son temps à voyager à travers l’Europe, jusqu’à ce qu’il s’installe dans la petite ville bavaroise de Murnau.

Pendant son séjour à Paris en 1907, il peint La Vie mélangée, toile qui clôt le grand ensemble de peintures de son œuvre précoce, réalisée entre 1902 et 1907, et qu’il nomme des « dessins colorés ». Prenant à contre-pied le mouvement des Ambulants, qui proposent des sujets concernant le peuple et qui peignent dans une manière réaliste ou naturaliste, Kandinsky évoque dans ces toiles empreintes de nostalgie le passé lointain, où se côtoient des figures de la vieille Russie, de la vieille Allemagne, ou encore de l’époque Biedermeier. Dans La Vie mélangée, il « semble qu’en faisant l’amalgame entre la figure et le fond, l’artiste s’exerce déjà dans ce genre de scènes à des visions presque abstraites».

La Montagne bleue (1908-1909), peinte à cette époque, montre davantage sa tendance vers l’abstraction pure. Une montagne bleue est flanquée de deux grands arbres, l’un jaune et l’autre rouge. Un groupe de trois cavaliers et quelques autres personnages traversent le bas de la toile. Le visage, les habits et la selle des cavaliers sont chacun d’une couleur unie, et aucun des personnages ne montre de détail réaliste. Le large emploi de la couleur dans La Montagne bleue illustre l’évolution de Kandinsky vers un art dans lequel la couleur elle-même est appliquée indépendamment de la forme.

À partir de 1909, ce que Kandinsky appelle le « chœur des couleurs » devient de plus en plus éclatant, il se charge d’un pouvoir émotif et d’une signification cosmique intense. Cette évolution a été attribuée à un ouvrage de Goethe, le Traité des couleurs (Farbenlehre), qui a influencé ses livres Du spirituel dans l’art et Regards sur le passé. L’année suivante, il peint la première œuvre abstraite réalisée à partir d’une conviction profonde et dans un but clairement défini : substituer à la figuration et à l’imitation de la « réalité » extérieure du monde matériel une création pure de nature spirituelle qui ne procède que de la seule nécessité intérieure de l’artiste. Ou, pour reprendre la terminologie du philosophe Michel Henry, substituer à l’apparence visible du monde extérieur la réalité intérieure pathétique et invisible de la vie. Kandinsky a expliqué que l’intuition qui l’avait mené vers l’abstraction s’était produite en 1908, à la vue d’un de ses propres tableaux posé sur le côté, méconnaissable dans la lumière déclinante du crépuscule.